Wednesday, August 29, 2007

Laos, bientôt "Koweït de l'hydroélectricité"

Un article dans Le Monde sur le grand barrage en construction au Laos (EDF, Banque Mondiale), et la "gestion des populations"

Au Laos, un barrage-laboratoire
LE MONDE | 28.08.07 | 14h40 • Mis à jour le 28.08.07 | 14h40
PLATEAU DU NAKAÏ (LAOS) ENVOYÉ SPÉCIAL: Jean-Michel Bezat

Bientôt, Soon et ses maisons sur pilotis aux murs de bambou tressé auront disparu, comme les masures de Nong Boua, de Keng Gnao, de Khone Khen et d'une dizaine de villages accrochés aux berges de la rivière Nam Theun, affluent du Mékong. Elles seront englouties, à l'automne 2008, par un réservoir de 450 km2 - les trois quarts du lac Léman -, qui alimentera une centrale hydroélectrique de 1 070 mégawatts, en cours de construction. C'est le plus grand projet au monde actuellement en construction, après le barrage chinois des Trois-Gorges, édifié sur le Yangzi.

Khamsi, regard sombre, chignon strict, ne regrette pas son ancien toit. Le barrage ? La présidente de l'Union des femmes du village y voit la promesse d'une vie meilleure pour les six enfants qui lui restent et pour les 6 200 déplacés du plateau du Nakaï : "Nous vivions dans des taudis, il fallait marcher une demi-heure pour trouver de l'eau et une journée entière avec mes enfants pour aller dans la forêt, sur mon terrain de brûlis où je cultivais le riz."

Assis à ses côtés, le chef du village poursuit, sous l'oeil approbateur du gouverneur de la région. "Avant, dit-il, il n'y avait pas d'école, pas de crèche, pas de route d'accès" pour descendre à Thakhek, la capitale provinciale, et écouler la maigre production agricole des villageois. Lui aussi s'est installé dans le village édifié par Nam Theun Power Company (NTPC), le consortium international qui construit et exploitera le barrage sous la direction d'EDF, détenteur de 35 % des parts.

Il y a eu des inquiétudes dans cette région perdue à 250 km au sud-est de Vientiane, la capitale. Mais les habitants ont pris possession de leurs maisons. Des logis traditionnels qu'ils ont conçus eux-mêmes, plus hauts sur leurs pilotis de béton, plus solides avec leurs murs de bois et leur toit en dur, plus confortables avec l'électricité et l'eau potable. De l'étage, le regard plonge sur des petits potagers clos où les aubergines disputent la place aux papayers. Plus loin, entre les pins géants, on devine des champs de riz, de choux, de moutarde, d'arachide, des bananeraies...

Le dispensaire est tout proche. Placardées dans les villages et sur les chantiers, des affiches avec des têtes de mort entourées d'un chapelet de mines et de bombes rappellent que la piste Hô-Chi-Minh, pilonnée par les B52 américains durant la guerre du Vietnam, traversait le plateau. Le nettoyage des sites par des équipes de démineurs zimbabwéens a bien avancé, et plus de 15 000 engins ont été désamorcés, mais des milliers de munitions truffent encore la forêt.

Sur ce plateau du Nakaï situé entre les eaux limoneuses du Mékong et la cordillère Annamitique bordant le Vietnam, les villageois n'avaient du riz que pour quatre mois. Le reste de l'année, ils survivaient de la chasse, de la cueillette et de l'arrachage de racines dans la forêt. L'espérance de vie est de 47 ans et le revenu annuel d'une famille de six personnes de 400 dollars. NTPC prévoit au moins son doublement dans les cinq ans suivant le relogement, grâce aux programmes de pêche, d'aquaculture, d'élevage, d'agriculture, d'activités forestières et de tissage.

"Ici, c'est un laboratoire", résume Jean Foerster, ancien expert de la Banque mondiale, qui dirige le projet social et environnemental. Un "laboratoire" où se jouent la crédibilité de la Banque et l'avenir des grands barrages hydroélectriques. En mars 2005, avant de donner son feu vert en bravant l'opposition de 150 ONG, l'institution de Washington a exigé des garanties. Et jamais la construction d'un ouvrage n'a été entourée de tant de précautions.

"Sans son accord, nous n'y serions pas allés, affirme le PDG d'EDF, Pierre Gadonneix. Sur ces projets, l'acceptation par les populations est devenue un enjeu majeur." Depuis le milieu des années 1990, la Banque refusait sa caution financière à ces "éléphants blancs" aux effets dévastateurs. "Les grands ouvrages ont mené à la dégradation de forêts et d'habitats, de la faune, de la biodiversité aquatique", dénonçait la commission mondiale des barrages, en 2000, dans un rapport commandé par la Banque. Elle constatait qu'"entre 40 et 80 millions de personnes ont été déplacées, tandis que le mode de vie de nombreux habitants en aval avait été affecté", concluant sur le "succès limité" des efforts pour réduire leur impact.

Les promoteurs du projet laotien affirment qu'ils en ont tiré les leçons et que les habitants du plateau et les 70 000 riverains de la rivière Xe Bang Fai, où seront rejetées les eaux de la centrale, en profiteront. La politique de développement absorbera 10 % du coût de Nam Theun 2, évalué à 1,45 milliard de dollars. Le plateau du Nakaï a vu débarquer une centaine d'anthropologues spécialistes des conflits hommes-éléphants, des psycholinguistes spécialistes des ethnies locales (Kri, Brou, Sek...), des botanistes et des zoologistes, des hydrologues et des agronomes...

La Banque a aussi imposé la protection de la zone tropicale dominant la rivière Nam Theun. A trois jours de marche de Sop On, Ban Navang est un hameau misérable d'une cinquantaine de logis posés au coeur de la forêt. Plus déshéritée encore que celles du plateau, une famille y vit avec 200 dollars par an. Dans sa modeste maison aux parois à claire-voie, le chef du village rêve tout haut d'une route qui briserait l'isolement et rapprocherait l'hôpital du district... Il ne l'aura sans doute pas, mais son hameau a la chance d'être situé dans la zone protégée de 4 000 km2 où NTPC versera chaque année 1 million de dollars pendant trente ans pour aider les 5 800 âmes qui y vivent, éviter la dégradation des sols - et donc celle du réservoir alimentant le barrage -, préserver la biodiversité exceptionnelle d'une région où l'on a découvert cinq espèces inconnues de grands mammifères. Une zone si riche que d'anciens miliciens du Pathet Lao, guérilla communiste antiaméricaine, ont été reconvertis dans la traque des braconniers et des trafiquants de bois précieux.

Sur le plateau du Nakaï, les habitants savent qu'ils devront devenir rapidement autosuffisants. "A partir de 2009, nous gérerons seuls l'exploitation du bois. Pas plus de 5 000 m3 de grumes par an. Au-delà, ce serait réduire dangereusement la forêt", explique le chef de la coopérative forestière en arpentant les hangars où s'entassent planches, poutres de charpente et troncs émondés. Bernard Tribollet, directeur de NTPC, concède que "c'est une révolution" pour une population qui va brutalement passer d'une activité de subsistance à une économie monétaire.


L' apprentissage est rude. Les villageois se sont déjà plaints de l'arrêt de la distribution de viande et de poisson. C'est la règle édictée pour ne pas créer de dépendance chez les personnes déplacées et les laisser produire leurs protéines grâce à un petit élevage, explique Jean Foerster. Le relogement ? Il a été freiné par la pénurie de bois de construction, concède-t-il, mais les 400 familles en attente (sur 1 216) seront relogées à la saison sèche. Restent des problèmes d'érosion et de drainage pour les routes d'accès.

NTPC a payé des experts de renommée mondiale comme les écologistes David McDowell et Lee Talbot, ou le spécialiste des déplacements de populations Thayer Scudder. Ils évaluent le projet tous les six mois et rendent compte au gouvernement laotien. "Ils ont toujours été très positifs, mais sans complaisance, jure Foerster. A la fin de chaque mission, on a droit à cinquante recommandations pour améliorer les choses." Elles s'ajoutent à celles du gouvernement et de la Banque mondiale, désormais plus confiante qu'au début.

Tous ces garde-fous n'ont pas convaincu les associations écologistes, qui restent foncièrement hostiles aux grands barrages. Elles accusent la Banque mondiale d'avoir signé "un chèque en blanc" à EDF et à un gouvernement laotien qu'elles jugent incapable de gérer un projet si complexe. Réunis fin juin sur le site du chantier, à l'invitation de NTPC, les opposants ont relancé l'offensive, s'inquiétant de la perte de terres arables, du retard des compensations financières, du sort des populations en aval de la centrale...

"L'exploitation forestière illégale augmente, les contrôles environnementaux sont insuffisants, le réservoir d'eau va se transformer en fosse d'aisance...", a fustigé l'association américaine International Rivers Network (IRN). La Banque mondiale lui a répondu point par point avant de juger les conclusions d'IRN "inexactes". "En huit jours, ils n'ont vu que 0,01 % de la population et ils avaient écrit leurs conclusions avant d'arriver sur le site", s'agace Jean Foerster.

Les autorités laotiennes préfèrent contre-attaquer sur le terrain économique et social - la production sera pour 5 % consommée dans le pays, pour 95 % vendue à la Thaïlande. "Le barrage rapportera 2 milliards de dollars entre 2009 et 2034, puis l'Etat en deviendra propriétaire", plaide Khamphone Saignasane, patron d'Electricité du Laos. Avec une manne représentant presque son PIB annuel, le pays le plus déshérité d'Asie du Sud-Est compte réduire la pauvreté de moitié en 2015. Et rien n'est trop beau pour en faire le "Koweït de l'hydroélectricité".

Monday, May 21, 2007

L'écologie en France...




Et sur Libération.

Wednesday, April 11, 2007

About China’s Organic Food

a nice follow-up...

China’s Organic Food Disappoints Consumers
by Ling Li – April 2, 2007 – 11:00pm

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The recent closing of China’s first organic supermarket, the “O Store” in Shanghai, due to poor sales has dimmed the vision of eating organic among some Chinese consumers. Middle-class residents of big cities like Shanghai and Beijing are the group most likely to buy organic food, but many have expressed frustration over the higher prices. Nationwide, organics consumers account for no more than 3 percent of China’s total population, according to the Nanjing-based Organic Food Development Center (OFDC), a subdivision of the State Environmental Protection Administration (SEPA).

Yet China’s production of organic food is a different story. In 2005, some 978,000 hectares of land were dedicated to certified organic production or under certification, an amount second only to that in the United States. But unlike countries whose organic farming is prompted mainly by concerns for the environment and health, China’s organic production is driven in large part by the economic benefits of global trade. China has become the dominant supplier of organic beans and seeds—such as pumpkin and sunflower seeds and kidney and black beans—to the European market.

It is a challenge, however, to grow truly organic crops in a country that is home to the world’s most polluted soils, contaminated with heavy metals, fertilizers, and pesticides. Most of the fertilizers used in China are phosphate-based chemicals that are highly toxic and have high heavy metal residues. China uses nearly 400 kilograms of fertilizers per hectare of land, far exceeding the threshold of 225 kilograms per hectare set by industrial countries.

Overall, organic food consumption has huge growth potential in the Chinese market. Domestic sales of so-called “green” foods—items produced with only limited use of chemicals and pesticides, as opposed to fully organic foods—jumped by 18 percent in 2005 to some 100 billion yuan (US $13 billion), Reuters reported. Recent food scares, commercial promotion, and an increase in disposable income are all contributing to the rising interest in healthier alternatives. But organic and green foods still cost as much as one third more on average, according to the China Green Food Development Center.

The uneven quality of certification is another obstacle for Chinese consumers. OFDC, founded in 1994, is the nation’s only organization recognized by the International Federation of Organic Agriculture Movements (IFOAM), a global organics certifier. Some 30 domestic organizations authorized by the Certification and Accreditation Administration have developed standards and codes on their own, with mixed results. The Beijing Consumer Association once conducted a local survey finding that fake organic food accounted for almost 10 percent of “green” food sales in the capital city. Some companies claim organic sourcing on their products without acquiring certification, while others simply paste on false organics labels that resemble the genuine ones.

“Grow local and eat local” is a strategy that can help to both reduce the price of organic products and minimize the impacts on the environment, according to a representative of Greenpeace China. The organization has set a goal of promoting local organic food sales in China and making them accessible to Chinese consumers.

China Watch is a joint initiative of the Worldwatch Institute and Beijing-based Global Environmental Institute (GEI) and is supported by the blue moon fund.

Saturday, March 24, 2007

L’alimentation éthique: le bio, le commerce équitable et les circuits courts

Lu dans "Courrier International", cet article paru dans "The Economist" sur l'alimentation éthique est très intéressant.

En relation direct avec le thème de mon stage chez WWF en Chine, l'article présente les tendances actuelles de l'alimentation éthique. La trame de fond, c'est de comparer le vote de l'urne avec celui du "chariot de supermarché". "Peut-on changer le monde en faisant ses courses?" En conclusion, l'article dit qu'il faut faire les deux, et que l'action politique traditionelle "a bien plus de chances d'influer". Entre temps, de nombreuses critiques à l'alimentation éthique est fourni aux lecteurs.

Je trouve que cela illustre bien la complexité de ces problématiques environnementales, celle que doit affronter notre société de consommation.

------------- Article:
Le chariot de supermarché aurait-il détrôné l’urne ? Dans la plupart des pays développés, le taux de participation électorale recule depuis plusieurs décennies et, dans le même temps, les ventes d’aliments bio, issus du commerce équitable ou produits localement, connaissent une croissance rapide. Grâce à ces produits, les consommateurs ont la possibilité d’exprimer leurs opinions politiques – souci de l’environnement ou soutien aux agriculteurs du Sud – à chaque fois qu’ils font leurs courses. Et ils ne s’en privent pas, constate Marion Nestle, nutritionniste à l’université de New York et auteur de Food Politics (2002) et de What to Eat (2006).
“Quand je parle avec les gens, explique-t-elle, ils expriment tous un même sentiment d’impuissance face au réchauffement de la planète ou aux inégalités entre riches et pauvres. Mais, quand ils remplissent leur chariot, ils peuvent agir, faire des choix, envoyer un message clair.”

Les militants du mouvement des “consommacteurs” confirment. Avant l’apparition des labels bio et éthiques, “la seule façon d’accomplir un geste politique à travers son acte d’achat, c’était le boycottage”, note Ian Bretman, de Fairtrade Labelling Organisations (FLO) International, organisme international de certification du commerce équitable. Aujourd’hui, on milite en consommant, et non en ne consommant pas – ce qui a bien plus de chances de produire des résultats. “Cela permet d’établir des relations constructives avec les entreprises, assure M. Bretman. Ce n’est pas en les boycottant ou en les diabolisant que vous les amènerez à s’asseoir autour d’une table.”
Les consommateurs ont plus de pouvoir qu’ils ne l’imaginent, assure Chris Wille, de la Rainforest Alliance (RA), une association de protection et de conservation des écosystèmes, qui certifie toutes sortes de producteurs.
“Ils sont au bout de la chaîne de distribution, et ils ont vraiment le pouvoir de faire remonter leur message. Si ce message est suffisamment martelé, ils peuvent faire changer certaines pratiques. C’est ce que nous constatons sur le terrain.”

Le secteur de l’alimentation bio, avec un chiffre d’affaires de 30 milliards de dollars, “a été créé par des consommateurs qui votent avec leurs porte-monnaie”, souligne Michael Pollan, auteur de The Omnivore’s Dilemma (2006), l’un des nombreux livres consacrés récemment à ce que l’on appelle le “consumérisme politique”. Normalement, explique-t-il, on fait la distinction entre le comportement des citoyens, censément soucieux du bien-être de la société, et celui des consommateurs, supposés égoïstes. Or, par ses choix alimentaires, le consommateur peut également agir en citoyen.
Il n’y existe pas une seule définition de ce qu’est l’agriculture “biologique”, mais elle suppose en général un usage très restrictif des pesticides et engrais de synthèse, ainsi qu’une interdiction des OGM. Peter Melchett, de la Soil Association, principale organisation de défense des intérêts du secteur bio en Grande-Bretagne, souligne qu’aujourd’hui les Britanniques invoquent davantage la protection de l’environnement que les bienfaits pour la santé comme raison de consommer bio.

Le fait que l’agriculture bio soit meilleure pour l’environnement ne fait pourtant pas l’unanimité. Père de la “révolution verte”, Prix Nobel de la paix et ardent défenseur de l’utilisation des engrais chimiques en vue d’accroître les rendements, Norman Borlaug est peut-être le plus éminent détracteur de l’agriculture bio. L’idée qu’elle soit plus respectueuse de l’environnement est à ses yeux “ridicule”. En effet, elle assure des rendements moindres et nécessite donc davantage de terres cultivées pour produire la même quantité d’aliments. Grâce aux engrais de synthèse, rappelle M. Borlaug, la production céréalière mondiale a triplé entre 1950 et 2000, tandis que les surfaces cultivées n’augmentaient que de 10 %. Si l’on avait utilisé des techniques traditionnelles comme la rotation des cultures ou la fertilisation au compost et au fumier, il aurait fallu tripler les surfaces cultivées. Plus on pratique l’agriculture intensive, fait valoir M. Borlaug, plus on préserve la forêt tropicale humide.
Qu’en est-il de l’affirmation selon laquelle l’agriculture bio est plus économe en énergie ? Peter Melchett note que l’engrais chimique utilisé dans l’agriculture conventionnelle est fabriqué à partir de gaz naturel, une “énergie non durable par excellence”. Mais Anthony Trewavas, biochimiste à l’université d’Edimbourg, rétorque que l’agriculture bio nécessite plus d’énergie à la tonne de nourriture produite, du fait que les rendements sont plus faibles et que les mauvaises herbes sont éliminées par labour. M. Pollan, lui, note que seul un cinquième de l’énergie nécessaire à la production alimentaire tout au long de la filière est consommé par l’exploitation : le reste est englouti par le transport et la transformation.

La forme d’agriculture la plus respectueuse de l’environnement semble être l’utilisation de techniques culturales sans labour, où l’on sème directement sur une couverture végétale, et où l’on fait un usage mesuré des herbicides. Cette technique s’accommode mal des méthodes de culture biologique (même si certains chercheurs essaient d’y parvenir). Respecter au pied de la lettre certaines règles quelque peu arbitraires de l’agriculture bio – utiliser du cuivre comme fongicide bio, sous prétexte qu’il est d’emploi traditionnel, par exemple – peut en fait retarder l’adoption de techniques agricoles plus écologiques. Malheureusement, le consommateur ne trouvera aucun produit labélisé “culture sans labour” – du moins pas pour l’instant.

Quant au commerce équitable
, il a pour but de remédier à “l’injustice des bas prix” en garantissant aux producteurs un prix équitable, “même quand le marché conventionnel ne l’est pas”, peut-on lire sur le site de FLO International (www.fairtrade.net). En somme, cela revient à payer les producteurs un prix “commerce équitable” supérieur au cours du marché, à condition qu’ils respectent une série de normes en matière de conditions de travail et de production. Dans le cas du café, les producteurs agréés commerce équitable perçoivent au minimum 1,26 dollar la livre, ou 0,05 dollar ­au-dessus du prix du marché si celui-ci dépasse ce seuil. Les producteurs reçoivent également une prime de développement, qui sert à financer des projets communautaires [construction d’un dispensaire, d’une école, achat d’équipement, diversification de la production, etc.].
Le marché des produits équitables est bien plus réduit que celui du bio, mais sa croissance est nettement plus rapide : il a gagné 37 % en 2005, pour atteindre 1,1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Qui trouverait à y redire ?
Les économistes, pour commencer. L’argument économique classique contre le commerce équitable est le suivant : le bas prix de produits de base comme le café est dû à la surproduction et devrait être un signal incitant les producteurs à passer à d’autres cultures. Leur payer un prix minimum garanti – ce qui revient à leur verser une subvention – ne les incite pas à se diversifier. En faisant monter le prix moyen payé pour le café, cela encourage de nouveaux producteurs à entrer sur ce marché, ce qui tire le cours du café non équitable encore un peu plus vers le bas, d’où un appauvrissement de ses producteurs. Pour Tim Harford, auteur de The Undercover Economist (2005), le commerce équitable ne s’attaque pas au vrai problème, qui est que l’on produit trop de café.

M. Bretman, de FLO International, récuse cette analyse. Dans la pratique, assure-t-il, les agriculteurs n’ont pas les moyens de se diversifier quand les prix chutent. Les producteurs “équitables”, en revanche, peuvent utiliser la prime de développement qu’ils perçoivent pour investir, et ainsi élargir leur gamme de produits.
Garantir un prix minimum signifie aussi qu’il n’y a pas d’incitation à améliorer le produit, se plaignent les buveurs de café, qui jugent très variable la qualité des moutures équitables. La Rainforest Alliance fait les choses autrement. Elle ne garantit pas un prix minimum, mais offre des formations, des conseils et un meilleur accès au crédit.
“Nous voulons que les producteurs prennent leur destin en main, qu’ils apprennent à commercialiser leurs produits sur des marchés mondialisés très concurrentiels, afin qu’ils ne soient pas tributaires de telle ou telle ONG”, explique M. Wille.

Mais l’argument le plus convaincant est sans doute que le commerce équitable ne permet pas de faire parvenir efficacement l’argent aux petits producteurs du Sud. Les distributeurs ajoutent leur propre marge, considérable, aux produits équitables, faisant croire aux consommateurs que le surcoût qu’ils paient est intégralement reversé aux producteurs. M. Harford calcule que seuls 10 % du surcoût d’une tasse de café équitable leur reviennent effectivement. Le café équitable, dit-il, de même que les produits bio vendus en supermarché, permet surtout à la grande distribution de repérer les clients disposés à payer plus cher.

Comme le bio, le commerce équitable est critiqué à la fois de l’extérieur, par ceux qui pensent qu’il se fourvoie, et de l’intérieur, par ceux qui pensent qu’il a vendu son âme au diable. Ainsi, le lancement par ­le géant de l’agroalimentaire Nestlé de Partners Blend, un café instantané issu du commerce équitable, a convaincu certains militants que leur mouvement s’inclinait devant le big ­business. Nestlé, qui commercialise plus de 8 000 produits non équitables, est accusé d’exploiter le label Fairtrade pour améliorer son image tout en poursuivant ses activités habituelles. M. Bretman, de FLO International, n’est pas de cet avis. “Nous avons estimé qu’il serait irresponsable de notre part de ne pas saisir une occasion d’aider des centaines, voire des milliers d’agriculteurs, affirme-t-il. Pour gagner la bataille, nous devons rallier les grands groupes à nos idées.”
En outre, c’est ainsi que le changement se produit géné­­­ralement, note M. Pollan, auteur d’un livre sur le consumérisme politique : les grandes entreprises s’approprient le mouvement et évoluent dans la foulée. Ce qui “oblige les consommateurs à explorer chaque fois de nouveaux territoires”. Et il semble qu’ils s’orientent désormais vers les circuits courts de distribution des produits alimentaires.

“Le circuit court, c’est le nouveau bio” : tel est, depuis un an ou deux, le slogan officieux du mouvement en faveur des produits locaux. L’essor du “big bio”, la production à grande échelle de produits biologiques pour répondre à une demande croissante, a entraîné une réaction de rejet, certains estimant que l’agriculture biologique a perdu son âme.
Cela explique en partie l’intérêt que suscitent les produits alimentaires achetés aux agriculteurs locaux, soit directement, soit sur des marchés de producteurs. C’est aussi la raison pour laquelle les tenants des circuits courts ont repris le flambeau du militantisme alimentaire. Les produits locaux n’ont pas à être bio, et acheter directement aux petits exploitants court-circuite les systèmes de production et de distribution classiques, comme le faisait le bio à ses débuts. Résultat, les circuits courts semblent à l’abri de la production à grande échelle ou d’une récupération par les géants de l’agroalimentaire. Le bio était un moyen pour les consommateurs de “protester contre les grands groupes, et, désormais, les circuits courts en sont un autre”, explique M. Pollan.
En achetant directement au producteur, on est sûr qu’il perçoit un prix juste, sans intermédiaires qui se sucrent au passage. Par ailleurs, la production locale n’est pas acheminée depuis l’autre bout du pays (ou de la planète), si bien qu’elle est plus écologique. Ainsi, les circuits courts séduisent à la fois les écologistes, les lobbys agricoles, les militants altermondialistes et les consommateurs qui souhaitent être mieux informés de la provenance de ce qu’ils mangent.
De toute évidence, entre un produit cultivé localement et un même produit acheminé depuis un pays lointain, il est logique de préférer le premier. Mais on peut rarement faire des comparaisons aussi simples. Car réduire au minimum les kilomètres alimentaires [la distance que parcourt la nourriture entre l’endroit d’où elle provient et l’assiette du consommateur] n’est pas toujours le meilleur choix en termes d’impact pour l’environnement.
La notion même de “kilomètre alimentaire” est trompeuse, si l’on en croit un rapport publié par le ministère de l’Environnement et de l’Agriculture britannique. Un kilomètre parcouru par un gros camion rempli de denrées alimentaires, ce n’est pas la même chose qu’un kilomètre parcouru par un 4 x 4 transportant un sac de salade. C’est pourquoi, explique Paul Watkiss, l’un des auteurs du rapport britannique, il est plus judicieux de raisonner en termes de kilomètres par véhicule alimentaire (la distance parcourue par des véhicules transportant des denrées alimentaires) et de kilomètres par tonne alimentaire (ce qui prend en compte le volume transporté).

Le rapport du ministère, qui analyse l’approvisionnement alimentaire du Royaume-Uni, bouscule certaines idées reçues. On y apprend qu’il est moins nocif pour l’environnement, par exemple, de faire venir des tomates par camion d’Espagne en hiver que de les cultiver sous serre chauffée en Grande-Bretagne. Il en ressort également que la moitié des kilomètres parcourus par véhicule alimentaire en Grande-Bretagne sont des allers-retours au supermarché en ­voiture. Chaque trajet est bref, mais il y en a des millions chaque jour. Autre découverte étonnante : une généralisation des circuits courts – au détriment de l’approvisionnement dans les supermarchés, avec leurs entrepôts, leurs filières de distribution rationalisées et leurs grands camions chargés à bloc – pourrait accroître le nombre de kilomètres parcourus par des véhicules alimentaires à l’échelon local. En effet, les produits seraient transportés dans un plus grand nombre de petits véhicules, moins rationnellement chargés.
Une étude menée par l’université Lincoln, en Nouvelle-Zélande, révèle que produire dans ce pays des produits laitiers, de l’agneau, des pommes ou des oignons pour les exporter vers la Grande-Bretagne consomme globalement moins d’énergie que de les produire en Grande-Bretagne (en Nouvelle-Zélande, la production et la transformation sont bien moins gourmandes en énergie). Et même si acheminer des aliments par avion des pays en développement se traduit par davantage d’émissions de CO2, il faut aussi tenir compte de l’impulsion donnée au commerce et au développement.
Il y a des tendances protectionnistes et anticapitalistes chez les partisans des circuits courts, juge Gareth Edwards-Jones, de l’université du pays de Galles. Les lobbys agricoles peuvent ainsi faire campagne contre les importations sous prétexte d’écologie. Les gens, poursuit-il, veulent croire qu’ils font les meilleurs choix du point de vue écologique ou social, “mais nous n’avons pas suffisamment d’éléments” pour en être sûrs.
Alors, que doivent faire les consommateurs ? Tout choix alimentaire suppose des arbitrages. Même si l’agriculture bio consomme effectivement un peu moins d’énergie et pollue un peu moins, il ne faut pas perdre de vue que ses rendements sont moindres et qu’elle nécessite davantage de surfaces cultivées. Le commerce équitable peut aider certains agriculteurs pauvres, mais aussi en pénaliser d’autres. Et, même si les circuits courts réduisent les émissions liées au transport, ils réduisent aussi les possibilités de développement économique. On peut voir dans ces trois modalités d’achat une façon de protester contre les grands groupes, mais ceux-ci vendent déjà des produits bio et issus du commerce équitable, et la recherche de fournisseurs locaux, associée à la logistique efficace des supermarchés, pourrait être, en définitive, la manière la plus écologique de transporter les aliments.
L’alimentation est au cœur des débats sur l’environnement, le développement, le commerce international et la mondialisation. Mais peut-on changer le monde par ses choix alimentaires ? L’idée est attrayante, mais lutter contre le réchauffement de la planète, promouvoir le développement et réformer du commerce mondial passe avant tout par des choix politiques difficiles. “Nous devons voter aussi bien avec nos bulletins qu’avec notre chariot de supermarché”, résume M. Pollan. L’action politique traditionnelle, c’est peut-être moins drôle que faire ses courses, mais cela a bien plus de chances d’influer sur le cours des choses.

"Réactions"
Des arguments de mauvaise foi
Publié à la une de The Economist courant décembre, l’article que nous reproduisons ici n’en finit pas de susciter des réactions, pour la plupart outrées. Dans la presse et dans les blogs, les militants du “consommer autrement” démontent presque tous les arguments avancés par l’hebdomadaire britannique pour décrédibiliser le bio, le commerce équitable et les circuits courts. Concernant le bio, le journaliste Samuel Fromartz, auteur de Organic, Inc., conteste, dans le magazine écolo américain en ligne Grist, que ses rendements sont inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle et qu’il nécessite par conséquent davantage de terres cultivées. Il cite plusieurs études américaines montrant que le rendement du bio est quasiment équivalent à celui du conventionnel et qu’il peut même être supérieur les années de sécheresse. Quant au commerce équitable, ses défenseurs nient que le prix minimum garanti payé aux producteurs revienne à leur verser une subvention qui les incite à surproduire. “Les communautés de producteurs ne sont que trop conscientes des risques qu’il y a à dépendre d’une seule denrée et sont promptes à saisir toutes les occasions que leur ouvre leur adhésion au programme équitable”, rétorque FLO International, l’organisme de certification du commerce équitable, sur son site (www.fairtrade.net). The Economist n’est pas plus jugé convaincant quand il accuse les consommateurs qui privilégient les produits locaux d’être protectionnistes. “Aux Etats-Unis du moins, personne, que je sache, n’appelle à l’érection de barrières commerciales contre les aliments importés. Un consommateur est-il protectionniste parce qu’il choisit d’acheter plus cher l’ail d’un producteur local ?” se gausse, toujours dans Grist, l’agriculteur et journaliste Tom Philpott, avant de conclure : “Bizarre de la part d’un magazine libéral de nous conseiller de restreindre nos choix et de demander à l’Etat de résoudre nos problèmes.” L’hebdo britannique de gauche The New Statesman est encore plus cinglant : “Quand les défenseurs des intérêts de riches entreprises se disent consternés de la façon dont nous dépensons notre argent, nous pouvons être sûrs que nous faisons une bonne chose.”


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Circuits courts Parmi les circuits courts de distribution de produits alimentaires créés en France,les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) constituent l’un des réseaux les plus développés. Une AMAP est un partenariat de proximité entre une ferme, généralement périurbaine, et un groupe de consommateurs. Ces derniers achètent à l’avance un panier de produits – fruits et légumes essentiellement – que le maraîcher leur fournit ensuite au fil des mois. Cette approche est née au Japon dans les années 1970 avec les tekei (“partenariats”), coordonnés à l’époque par l’Association japonaise d’agriculture biologique. Elle s’est ensuite développée aux Etats-Unis et au Canada sous le nom de Community Supported Agriculture, puis en Europe, en Australie ou en Nouvelle-Zélande. En France, une cinquantaine d’AMAP, dont certaines spécialisées dans les produits bio, sont répertoriées sur alliancepec.free.fr, le site de l’association Alliance paysans-écologistes-consommateurs.

Monday, February 26, 2007

Les tribus victimes de l’écologie - Courrier International

>> hebdo n° 851 - 22 févr. 2007
Courrier International

Sur tous les continents, des millions de personnes ont été chassées de leurs terres au nom de la conservation des espèces. La misère de ces populations déplacées suscite à présent une prise de conscience.

A l’aube, les vallées escarpées au fin fond du sud-ouest de l’Ouganda sont noyées de brumes. Des oiseaux qu’on ne trouve que dans cette minuscule partie de l’Afrique prennent leur envol, tandis que des grands singes vont boire aux ruisseaux. Pendant des milliers d’années, les Twas ont vécu en harmonie avec la forêt dans ce paysage de couleurs et de sons. Une symbiose si totale que les biologistes du début du XXe siècle venus étudier la région remarquèrent à peine leur existence. Ainsi l’un d’entre eux décrivit-il les Twas comme “faisant partie de la faune”. Dans les années 1930, venus du monde entier, des écologistes spécialisés dans la conservation (ou conservationnistes) réussirent à convaincre les responsables ougandais que cette zone était menacée par l’exploitation forestière et minière. Il fut donc décidé de créer trois réserves forestières – Mgahinga, Echuya et Bwindi. Toutes trois recouvraient en partie le territoire ancestral des Twas. Pendant soixante ans, ces réserves naturelles, définies seulement sur le papier, furent à l’abri des exploitants. Mais elles sont devenues officiellement parcs nationaux en 1991, et le Programme mondial pour l’environnement (Global Environment Facility, GEF) de la Banque mondiale a financé une bureaucratie pour les gérer.
Une rumeur circulait alors selon laquelle les Twas chassaient et mangeaient des gorilles de montagne. Les gorilles étaient déjà largement reconnus comme espèce menacée et représentaient une attraction grandissante pour l’écotourisme. Certes, ont admis les Twas, les gorilles étaient chassés, mais c’était le fait des Hutus, des Tutsis et des Bantous, ainsi que d’autres tribus de villages extérieurs. Les Twas, qui se sentent une parenté avec les grands singes, ont fermement nié en avoir tué. En dépit de cela, les conservationnistes occidentaux, convaincus de l’incompatibilité entre préservation de la nature et communautés humaines, ont exercé une telle pression que les Twas ont fini par être expulsés de leurs terres ancestrales. Ils vivent maintenant en périphérie des parcs, dans des camps improvisés, sans sanitaires ni eau courante. Encore une génération soumise à ce traitement, et leur culture, fondée sur la forêt – chants, rituels, traditions et légendes –, aura totalement disparu.
Ce n’est un secret pour personne : dans le monde, des millions d’autochtones ont été chassés de leurs terres pour laisser la place aux géants du pétrole, du métal, du bois et de l’agriculture. Mais peu de gens savent que la même chose se passe au nom d’une cause bien plus noble : la protection de l’environnement. Des chefs de tribu de presque tous les continents ont établi une liste des organisations responsables de la destruction de leurs cultures. Parmi celles-ci figurent non seulement Shell, Texaco, Freeport et Bechtel, mais également des noms bien plus surprenants, tels que les ONG Conservation International (CI), The Nature Conservancy (TNC), World Wildlife Fund (WWF) et Wildlife Conservation Society (WCS). Il est même possible que l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), pourtant plus sensible aux problèmes liés à la culture autochtone, y figure. “Nous sommes désormais des ennemis de la conservation”, a déclaré le chef massaï Martin Saning’o lors d’une session du Congrès mondial de la nature organisée en novembre 2004 sous l’égide de l’UICN à Bangkok. Au cours des trois dernières décennies, les nomades massaïs ont perdu une large part de leurs pâturages au profit de projets de conservation dans tout l’est de l’Afrique. En fait, “au début, les conservateurs de la nature, c’était nous”, a ajouté Martin Saning’o. Dans le silence qui a suivi, il a calmement expliqué la façon traditionnelle dont les éleveurs de bétail, bergers et nomades, ont toujours préservé leurs pâturages. Puis il a tenté de comprendre l’étrange démarche de préservation de la nature qui a plongé son peuple dans la misère – plus de 100 000 Massaïs ont été expulsés du sud du Kenya et des plaines du Serengeti, en Tanzanie. Comme les Twas, les Massaïs n’ont pas bénéficié de compensations adéquates. Leur culture est en train de disparaître et ils vivent dans la misère. “Nous ne voulons pas vous ressembler”, a poursuivi Martin Saning’o devant une assemblée de visages blancs choqués. “Nous voulons que vous nous ressembliez. Nous sommes ici pour changer vos mentalités. Vous ne pouvez pas protéger l’environnement sans nous.”
Probablement sans s’en rendre compte, le chef massaï parlait au nom d’un mouvement planétaire grandissant, regroupant des peuples autochtones qui se considèrent comme des réfugiés de la conservation, à ne pas confondre avec les réfugiés de l’environnement, des populations forcées à abandonner leurs terres en raison de sécheresses, d’inondations ou d’autres conséquences du chaos climatique.

Les réfugiés de la conservation sont soustraits à leurs terres contre leur gré, soit par la force, soit par toute une gamme de mesures moins coercitives. Les méthodes les plus douces sont parfois appelées “soft eviction” (expulsion douce) ou “voluntary resettlement” (recolonisation volontaire) – une notion contestable. Quelle que soit la méthode, les griefs sont là. Ainsi la délocalisation bénéficie-t-elle généralement de l’aval tacite ou de la négligence complaisante de l’une des cinq grandes ONG internationales – les BINGO (big international non-governmental conservation organizations), comme les ont surnommées les chefs des peuples autochtones. Khon Noi, matriarche d’un village de montagne isolé, se tient blottie au coin du feu. Ses vêtements amples aux couleurs vives indiquent qu’elle appartient aux Karens, le peuple le plus nombreux parmi les six qui habitent les montagnes du nord de la Thaïlande. Son village compte 65 familles et occupe cette large vallée depuis plus de deux siècles. Récemment, dans un élan d’enthousiasme écologique stimulé par les généreuses subventions du GEF, le gouvernement thaïlandais a commencé à créer des parcs nationaux en telle quantité que le ministère des Eaux et Forêts thaïlandais, responsable de leur cartographie, a du mal à suivre la cadence. Le ministère gère des zones protégées couvrant maintenant presque 24 000 kilomètres carrés et occupées par des tribus des collines et des pêcheurs. “Un jour, des hommes en uniforme armés de fusils sont venus de nulle part, se souvient Khon Noi, et ils nous ont dit que nous vivions maintenant dans un parc national. Nous n’en avions jamais entendu parler. On nous a confisqué nos fusils… Plus de chasse, plus de pièges ni de collets, et plus de ‘brûlis’. C’est comme ça qu’ils appellent notre agriculture. Nous, on appelle ça la rotation de cultures et on fait ça dans notre vallée depuis plus de deux cents ans. Bientôt, nous devrons vendre du riz pour nous procurer les légumes que nous n’avons plus le droit de cultiver ici. Nous pouvons nous passer de la chasse, car nous élevons des poulets, des cochons et des buffles. Mais la rotation de cultures, c’est notre mode de vie.”
En 1962, on répertoriait un millier de zones protégées dans le monde. Ce nombre est passé à plus de 108 000, et chaque jour il en apparaît de nouvelles. La surface totale des terres placées sous protection a doublé depuis 1990, pour atteindre 12 % des terres du globe, soit plus de 19 millions de kilomètres carrés. C’est plus que l’Afrique entière. Dans les années 1990, le Tchad a fait passer de 0,1 % à 9,1 % la proportion de son territoire national placé sous protection. Toute cette surface était habitée par 600 000 personnes, qui sont aujourd’hui des réfugiés de la conservation. A part l’Inde, qui reconnaît en abriter 1,6 million, aucun autre pays ne tient les comptes de cette nouvelle classe de réfugiés, toujours plus nombreux. Les estimations mondiales avancées par l’ONU, l’UICN et quelques anthropologues varient de 5 millions à plusieurs dizaines de millions. Charles Geiser, sociologue à l’université Cornell, s’est penché sur les déplacements de population en Afrique. Il est convaincu que le nombre de réfugiés sur ce seul continent dépasse les 14 millions. Le gouvernement indien, qui a fait expulser 100 000 adivesi (membres des populations rurales) en Assam, d’avril à juillet 2002, estime qu’ils seront 2 millions à 3 millions à être déplacés au cours de la prochaine décennie. Cette politique répond en grande partie à un procès intenté en 1993 par le WWF, qui exigeait que le gouvernement augmente les zones protégées de 8 %, principalement pour sauvegarder l’habitat du tigre. Encore plus préoccupant, au Mexique, le déplacement imminent de plusieurs communautés mayas de la région forestière des monts Azules, dans le Chiapas, découle d’un processus lancé vers le milieu des années 1970 afin de protéger la forêt vierge tropicale. Ces déplacements portent en eux le germe d’une guerre civile. L’organisation Conservation International est au cœur de cette controverse, tout comme un grand nombre d’industriels.

Les populations tribales, qui réfléchissent en termes de générations plutôt qu’en termes de semaines, de mois ou d’années, attendent toujours qu’on leur accorde la considération qu’on leur a promise. Bien sûr, le trophée le plus convoité est le projet de déclaration de l’ONU, qu’un très grand nombre de nations doit ratifier. Pour l’instant, cette déclaration n’a pas pu passer, principalement parce que des chefs d’Etat puissants tels que Tony Blair et George Bush menacent d’y opposer leur veto. Pour eux, la notion de droits humains collectifs n’existe pas et ne devrait jamais exister. De plus, les communautés de défense des droits de l’homme et celles de la conservation de la nature s’opposent sévèrement sur la question des déplacements. Chaque partie accuse l’autre d’être responsable de la crise. Certains biologistes de la conservation, comme Steven Sanderson, président de la WCS, sont convaincus que la lutte pour la conservation a été prise en otage par les défenseurs des populations autochtones. “Les peuples de la forêt et leurs représentants parlent peut-être au nom de la forêt telle qu’ils la perçoivent”, a ainsi déclaré Sanderson, “mais ils ne parlent pas au nom de la forêt telle que nous voulons la protéger.”

Plus de 14 millions de réfugiés de la conservation en Afrique

Les solutions fondées sur l’incitation commerciale que proposent les groupes défenseurs des droits de l’homme, mises en œuvre avec les meilleures intentions sociales et écologiques, connaissent des résultats lamentables. Dans presque tous les cas, les peuples autochtones sont plongés dans l’économie monétaire sans avoir les moyens d’y participer réellement. On les cantonne dans les emplois de gardes forestiers (sans grade), de serveurs ou de moissonneurs, ou, s’ils réussissent à apprendre une langue européenne, de guides écotouristiques. Dès lors, il n’est pas surprenant que les populations tribales considèrent les conservationnistes comme de nouveaux colonisateurs, comme une simple extension des forces au service de l’hégémonie économique et culturelle mondiale.
Cependant, on commence à percevoir çà et là les signes d’un changement des mentalités. Certains spécialistes de terrain sont pleinement conscients que l’esprit d’exclusion survit au sein même des cercles dirigeants de leurs organisations, tout comme un préjugé négatif bien réel à l’encontre de la sagesse indigène. “Notre organisation tente parfois d’utiliser des modèles qui ne s’accordent pas avec la culture des pays où nous travaillons”, admet Dan Campbell, directeur de TNC à Belize. “Nous sommes arrogants”, concède de son côté, sous couvert d’anonymat, un cadre de Conservation International travaillant en Amérique du Sud. Bien qu’encourageantes, ces confessions ne reflètent qu’une minorité des attitudes. Mais, si les observations effectuées et les opinions des spécialistes sur le terrain parviennent à filtrer vers le haut, au sein des cercles dirigeants des BINGO, il y aura peut-être une fin heureuse à cette histoire.
Sur tous les continents, il existe déjà des modèles de travail positifs mis en place dans des zones de protection socialement sensibles, en particulier en Australie, en Bolivie, au Népal et au Canada. Dans ces pays, les lois nationales protègent les droits des autochtones. Les conservationnistes étrangers n’ont d’autre choix que de s’allier à ces communautés pour trouver des façons créatives de protéger les biotopes et de soutenir la biodiversité, tout en permettant aux indigènes de mener une vie florissante sur leurs propres territoires. Dans la plupart des cas, ce sont justement ces mêmes populations qui sont à l’initiative de la création d’une réserve – plus communément appelée “zone indigène protégée” (indigenous protected area, IPA) ou “zone de protection de communauté” (community conservation area, CCA). Les IPA sont une invention des Aborigènes, dont beaucoup ont recouvré leurs droits de propriété, ainsi que l’autonomie territoriale grâce à de nouveaux traités. Les CCA naissent un peu partout dans le monde, depuis les bords du Mékong, avec leurs villages de pêcheurs laos, jusqu’à la forêt de Mataven, en Colombie, où 6 tribus peuplent 152 villages autour d’une réserve écologiquement intacte couvrant plus de 1,6 million d’hectares. Très souvent, une fois la CCA créée et les droits territoriaux établis, la communauté invite une BINGO à lui envoyer ses écologistes et ses biologistes pour partager la tâche : il s’agit de protéger la biodiversité en associant la méthodologie scientifique occidentale aux connaissances écologiques locales.

90 % de la biodiversité se trouvent hors des zones protégées

Malgré tout, il ne faut pas placer trop d’espoirs dans ces quelques exemples de coopération réussie. La convoitise effrénée des grands groupes pour l’énergie, le bois, les médicaments et les métaux représente toujours un danger considérable pour les communautés autochtones, un danger sûrement plus important que la conservation. Mais les frontières entre ces deux menaces s’estompent de plus en plus. L’un des points les plus problématiques est que les organisations de conservation internationales travaillent très facilement avec certaines des structures d’exploitation de ressources les plus agressives. Parmi elles figurent Boise Cascade, Chevron-Texaco, Mitsubishi, Conoco-Phillips, International Paper, Rio Tinto Mining, Shell et Weyerhauser. Toutes sont membres du Centre pour le respect de l’environnement dans les affaires (Center for Environmental Leadership in Business, CELB), une entité créée par l’organisation environnementale CI. Bien évidemment, si les BINGO renonçaient à ces partenariats, elles devraient aussi dire adieu à des millions de dollars de financements, ainsi qu’à une partie de leur influence internationale, sans lesquels elles perdraient toute efficacité. C’est du moins ce dont elles sont convaincues.
Toutefois, de nombreux protecteurs de l’environnement se rendent compte peu à peu que les zones qu’ils ont tenté de sauvegarder sont riches en biodiversité grâce aux peuples qui les habitaient et qui avaient appris à comprendre la valeur et les mécanismes de la nature environnante. Certains sont même prêts à admettre que le fait d’avoir ruiné la vie de plus de 10 millions de personnes pauvres et impuissantes était une erreur monumentale – une erreur non seulement morale, sociale, philosophique et économique, mais également écologique. D’autres encore ont appris d’expérience que les parcs nationaux et les zones protégées, lorsqu’ils sont entourés de gens affamés et en colère qui se changent alors en ennemis de la conservation, sont généralement voués à l’échec. Enfin, ils sont de plus en plus nombreux à se demander pourquoi la biodiversité continue de décliner alors que l’on a réussi à protéger une portion des terres émergées équivalant à celle de l’Afrique. Une interrogation soulignée par la Convention sur la biodiversité, qui a révélé un fait abasourdissant : en Afrique, là où ont été créés tant de parcs et de réserves et où les évictions sont les plus nombreuses, 90 % de la biodiversité se trouve en dehors des zones protégées. Si nous voulons préserver la biodiversité en des lieux déjà occupés par des peuples au mode de vie “écologiquement durable”, l’erreur la plus stupide que nous puissions commettre serait de les mettre dehors. C’est une leçon que l’Histoire est en train de nous enseigner.

Anne Muller
Orion Magazine

Tuesday, January 23, 2007

Arte Radio au nord Cameroun

Avec l'ENGREF, lors du voyage d'étude de Février au Cameroun, on est passé à N'Gong... un peu au sud de Garoua. Arte Radio y est passé aussi apparemment:
Le village de N'Gong, au Nord du Cameroun. Le silence, la chaleur, la mer, les animaux, les mobylettes. Une carte postale pour rêver les yeux ouverts.
http://www.arteradio.com/son.html?24045

(NB: Il n'y pas la mer au nord Cameroun. mais c'est pas grave, le mix est sympa quand même)

Tuesday, January 16, 2007

Enquête emploi mastère spécialisé forêt 2006

Enquête emploi mastère spécialisé forêt 2006 (pdf)

Secteurs d'activité
Le secteur de la forêt est globalement le premier des secteurs d'emploi, très loin devant les autres, et cela qu'il s'agisse du 1er, du 2e ou du 3e emploi (ou plus) après le diplôme. L'objectif de double qualification du mastère spécialisé semble donc atteint, et d'autant plus nettement si l’on agrège au secteur forestier les secteurs du bois, de l'aménagement et de l'environnement (cf. tableau 4). L'emploi est majoritairement public ou parapublic (cf. tableau 5).

Thursday, January 11, 2007

Looking for a job / En recherche d'emploi

Je suis Ingénieur Arts et métiers et je cherche un travail.
Je vous renvoie sur ce site pour plus de détails... et mon CV (fr) (en ligne)!

I am a French engineer and I am looking for a job.
Please go to this site for further details... here is my CV (en) (online).